Extrait du livre Rivage « Maintenant ça va ! », édité par APAMAD.

Marie, ma femme était extraordinaire ! Elle savait tout faire. Quand je l’ai rencontrée la 1ere fois, d’amour mon cœur s’est mis à battre… et il n’a jamais cessé depuis. J’avais 12 ans et elle 11.
Pourtant, de graves querelles familiales, puis la guerre, nous avaient séparés. Ce  qui m’avait fait dire à l’époque  « seul un miracle pourra encore nous réunir ».  Et ce miracle a eu lieu, pour notre plus grand bonheur. Nous sommes restés mariés 67 ans.

L’épreuve la plus terrible que nous avons eu à  traverser fut celle de la maladie d’Alzheimer : c’était il y a 15 ans ! Ma femme est passée par tous les stades, nous avons découvert ensemble cette maladie. … Bientôt elle se mit en colère. Ne sachant plus où trouver ses affaires dans la maison, elle s‘y perdait. Moi qui savais, je lui disais où trouver les objets. Elle m’en voulait de savoir. Elle tempêtait contre la maladie en se fâchant contre moi. Ses colères devenaient violentes, notamment si j’essayais de lui imposer quoi que ce soit.

Je devais ruser. Marie pensait que je savais tout, mais je ne savais rien … je ne savais rien de sa maladie, je ne faisais qu’apprendre, pas à pas, essayant de comprendre, d’avancer avec elle. Tâche ingrate car elle devenait méchante à force d’être malheureuse et perdue.
L’avancée de la maladie ne faisait qu’aggraver la situation : elle ne pouvait plus construire une phrase ni s’exprimer. Son état me faisait souffrir et j’espérais qu’elle ne se rendait compte de rien.

Tout empirait. Elle ne savait plus du tout ce qu’elle faisait, n’allait pas aux toilettes qu’elle confondait avec le milieu du salon ou elle y allait mais oubliait de se déshabiller. Tout se détruisait en elle. C’était une machine faite d’os et de chair qui marche à contretemps et contresens. Les gestes les plus élémentaires de la vie, que l’on fait sans y penser étaient noyés dans le brouillard de la maladie. Elle refusait tout, de se mettre à table, de sortir, de prendre un bain. Tout. Elle ne supportait pas la moindre contrainte, disait non à tout ce que je disais. Et puis, par instant, elle venait vers moi «  Papy, je t’aime » Elle m’embrassait. «  Je t’aime, je t’aime mais je ne sais plus ! »

J’ai compris qu’elle appelait au secours derrière ce regard vide et sans vie. Je souffrais de cette situation, mais Marie aussi souffrait, terriblement, privée de toute existence, gavée de médicaments, ballotée d’une contrainte à l’autre, coupée de sa vie, de son autonomie, la tête folle, les sens anesthésiés. Par instant, Marie réalisait tout et sa douleur psychologique était intolérable.

«  Ma mie, je t’ai comprise ! Tu peux compter sur moi » : les fondations de notre couple ont été mises à rude épreuve. Je compris que j’avais désormais un rôle nouveau à remplir. Je devais être là pour Marie. Je devais lui rendre la vie acceptable, aussi agréable que possible. Si c’était moi qui étais tombé malade, elle aurait fait la même chose. Aider Marie, veiller sur elle, c’est mon rôle. L’article 212 du Code Civil ne dit- il pas «  les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ? »
Oui ! Mais pas tout seul ! On avait deux femmes de ménage depuis toujours. J’ai été bien aidé de ce côté-là. Et puis quand elle est devenue dépendante, il fallait l’aider à se lever, à se laver. Une dame d’APAMAD venait tous les matins. J’avais du personnel formidable ! J’étais surpris de voir comment ces dames étaient gentilles et avaient une patience énorme pour s’occuper de mon épouse qui n’était pas toujours douce avec elles.

Les choses se sont faites naturellement, je ne pouvais pas être tout le temps avec elle et en plus m’occuper de tout. Chaque soir, et deux ou trois fois dans la nuit, j’allais la voir pour vérifier ce qu’elle faisait et à chaque fois, je posais mes mains sur les siennes. Parfois, elle avait une réaction, elle me faisait un petit sourire, ou elle ouvrait les yeux… Elle sentait ma chaleur et elle réagissait. J’étais content, heureux de ce contact qui transperçait le brouillard de la maladie. « Dors ma mie, l’amour est plus fort que la maladie ».

J’ai eu besoin d’aide quand elle a commencé à être dépendante qu’elle ne pouvait plus se lever, se laver et s’habiller seule… C’était les dernières années et c’était le plus difficile. Ce n’est pas parce que je ne voulais pas ! Jamais je n’aurais laissé ma femme pour la mettre quelque part… ça c’était exclu ! On m’a conseillé de « la placer », soi disant que je ne pouvais plus continuer comme ça ! Mais non, rien à faire, je la garderai à la maison jusqu’au bout…et elle est morte ici.

Marie est morte d’une façon extraordinaire. Le matin, en me levant, je suis allé la voir, j’ai mis mes mains dans les siennes, lui ai couvert les épaules … elle dormait paisiblement. Plus tard, Bernadette – notre femme de ménage- est allée lui dire bonjour. Elle m’a appelé pour me dire que quelque chose n’allait pas. J’ai vu qu’elle était morte. Elle est partie dans son sommeil, sans souffrir, sans bouger. Elle s’est éteinte et j’étais soulagé d’avoir pu l’accompagner et de ne l’avoir jamais abandonnée. J’étais malheureux mais content qu’elle ait pu partir sans souffrir malgré sa maladie.

Son corps s’est endormi comme son esprit et sa mémoire s’étaient déjà endormis. Tout s’est endormi en même temps.

« Dors ma mie, l’amour est plus fort que la maladie »

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